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Il aurait été plus simple d’emmener un plateau jusqu’au mess des officiers et de commander le petit déjeuner auprès d’un des générateurs militaires de nourriture, mais Mara avait décidé de cuisiner des crêpes-poussière et des naussices, une spécialité de Tatooine, sur le simple thermobloc du quartier d’habitation alloué à la famille Skywalker. Même en de meilleures circonstances, Mara n’avait rien d’un cordon bleu. Elle avait réussi à carboniser les crêpes poudreuses et les naussices, mais elle se refusait à admettre son échec. Aller chercher le petit déjeuner signifiait qu’il fallait ouvrir la porte. Et ouvrir la porte signifiait qu’il fallait renouer contact avec le reste de la base Eclipse. Or, après une nuit complète passée en compagnie de son époux – chose très rare, d’autant plus que Ben avait dormi sans interruption –, Mara voulait garder Luke encore quelques minutes de plus auprès d’elle.

R2-D2 sifflota quelque chose depuis l’autre côté du comptoir de la cuisine, puis décida d’afficher un message d’urgence sur le moniteur vidéo du plan de travail.

– Non, il n’y a pas de raison d’alerter l’équipe d’urgence, dit-elle.

R2-D2 formula une objection.

– Non, je ne cuisine pas, je me contente de… cuire les aliments, gronda Mara. Et si tu fais la moindre réflexion, j’ordonne qu’on efface tes banques de données, c’est clair ?

R2 lança un trille plaintif et se tut.

Mara baissa les yeux vers les naussices, au centre de sa poêle à frire improvisée, et les vit se transformer petit à petit en morceaux de charbon. Luke choisit cet instant pour sortir de la salle de bains, passant une tunique propre par-dessus ses cheveux mouillés.

– Ça sent bon ! (Il lança un petit morceau de naussice noircie dans sa bouche, se retint de faire la grimace et hocha la tête en signe d’approbation.) Exactement comme on les faisait à la maison.

– Vraiment ? fit Mara, peu convaincue. Moi qui pensais que la seule raison pour laquelle tu avais quitté Tatooine, c’était pour rejoindre la Rébellion et sauver la galaxie…

– Non, c’était à cause de la cuisine, dit Luke, faussement sérieux.

Il se servit une crêpe poudreuse d’aspect caoutchouteux et commença à mâcher. Il leva les yeux au ciel, laissant comprendre que c’était aussi bon qu’une assiette de thakitillo vert. Désarmée, comme toujours, par l’imperturbable bonne humeur de Luke, Mara éclata de rire et se pencha par-dessus le comptoir pour embrasser son mari.

Pour les autres occupants d’Eclipse, il était peut-être cet énigmatique Maître Jedi, dernier espoir d’une galaxie en péril, mais, pour elle, il était un époux gentil et attentionné. Il était cet humble cultivateur d’humidité qui avait découvert en Mara des qualités qu’elle-même ne discernait pas. Même en sachant tout ce qu’elle avait commis au service de Palpatine, tous ces mensonges proférés et toutes ces vies supprimées, Luke l’avait acceptée, d’abord comme une collègue, puis comme une amie et, finalement – lorsque Mara avait compris que la Force les attirait tous deux vers un type de relation que l’Empereur Palpatine n’avait pas imaginé –, comme amante et épouse.

Elle détacha ses lèvres de celles de son mari et sourit.

– Pour la nuit que nous venons de passer…

Luke jeta un coup d’œil de l’autre côté de la pièce, là où Ben dormait encore dans son berceau, surveillé par une version récente du même droïde-nounou qui s’était occupé d’Anakin et des jumeaux lorsqu’ils étaient petits. Il n’eut pas besoin d’expliquer ce à quoi il pensait. Mara prit sa main et l’entraîna vers la chambre à coucher. Ils avaient presque atteint la porte lorsque R2-D2 siffla pour attirer leur attention. Mara ne prit même pas la peine de se retourner.

– Pas maintenant, R2…

Le droïde siffla de nouveau, puis relaya une transmission en direct, provenant du hangar principal, jusqu’à l’écran vidéo du salon. Mara aperçut l’Ombre et le Faucon, parqués avec une douzaine d’autres gros vaisseaux, à l’autre bout de l’immense soute caverneuse. Des techniciens allaient et venaient, manœuvrant des barges d’assaut pour faire un peu de place aux nouveaux appareils qui arrivaient. La zone centrale rassemblait les soixante-dix nouveaux chasseurs Ailes-X XJ3 que l’amiral Kre’fey affectait à Eclipse en procédant à des rotations d’appareils au sein de sa propre flotte. L’assortiment hétéroclite de vaisseaux constituant l’escadron de Saba Sebatyne et les chasseurs défraîchis des Apôtres de Kyp Durron reposaient au premier plan, sans surveillance, dans un inaccessible enchevêtrement de matériel.

L’image s’agrandit sur une zone qui séparait les Ailes-X récentes des autres chasseurs stellaires. Là, Corran Horn était entouré de pilotes appartenant aux Apôtres de Kyp, aux Chevaliers Errants et aux Shockers. Ce dernier escadron, officiellement celui d’Eclipse, était constitué à parts égales de Jedi inexpérimentés et de pilotes vétérans non-Jedi connaissant l’espace comme leur poche. Les trois chefs – Kyp Durron, Saba Sebatyne et le non-Jedi Rigard Matl – parlaient tous en même temps pendant que Corran Horn, l’air impatient, regardait désespérément en direction de la caméra holographique installée dans le plafond.

Luke soupira et se tourna vers Mara.

– Ça t’ennuie ?

– Ça m’ennuiera encore plus si nous ne remportons pas cette guerre, dit-elle. Corran est peut-être du genre rigide et moralisateur, mais ce n’est pas dans ses habitudes d’appeler à l’aide sans raison. R2, branche-nous le son, tu veux ?

La voix impatiente de Kyp Durron résonna dans le haut-parleur :

« … ne comprends pas ce qu’on attend. Peut-être que Danni va trouver un moyen de brouiller les ordres des yammosks, mais peut-être que non. En attendant, les Yuuzhan Vong ont capturé Anakin et les autres. (Comme tous les pilotes qui n’étaient pas basés sur Eclipse de façon permanente, Kyp ne savait pas que la capture du commando était une ruse.) Pendant que nous perdons notre temps, ils sont conduits à l’intérieur des lignes ennemies.

– Nous irons à leur secours lorsque Maître Skywalker nous dira qu’il est temps d’y aller, répondit Corran. En attendant, on reste là et on attend les ordres.

– Les ordres ? éructa Kyp. On n’est pas à l’armée, Corran. Un Jedi n’attend d’ordres de personne quand ses amis risquent d’être sacrifiés par un adversaire…

– C’est possible. Mais un Jedi ne se précipite pas au combat sans un minimum de préparation, intervint Rigard. (Ancien pilote de TIE-fighter, affichant une figure couturée presque aussi effrayante que celle d’un Yuuzhan Vong, Rigard détestait profondément la guerre. Pourtant, il avait participé – dans un camp, dans un autre et parfois dans les deux – à presque tous les conflits majeurs survenus depuis la Rébellion.) Nous attendons de disposer de plus d’éléments que les simples recherches de Danni sur les modulations gravifiques. Nous ne voulons pas nous braquer sur quelque chose sans que tout soit vraiment prêt.

– C’est justement cette notion de se braquer sur quelque chose qui inquiète cette Barabel, dit Saba Sebatyne, s’adressant directement à la caméra holographique, indiquant par là clairement qu’elle voulait parler à Luke en personne. Cette Barabel pense que lorsque quelqu’un tend le bras trop loin, il a des chances d’y laisser une main… »

– Et merde ! siffla Luke entre ses dents, proférant à voix haute un juron que Mara n’avait pas entendu depuis le temps où Jacen et Jaina s’entraînaient à l’académie. Encore un coup de Kyp…

– On ferait mieux de descendre les rejoindre, dit Mara, se penchant par-dessus le plan de travail pour saisir son comlink. Je préviens Corran qu’on arrive.

Mara et Luke s’habillèrent et, après avoir demandé au droïde-nurse de les prévenir dès que Ben se réveillerait, ils se rendirent à la baie hangar. Ils avaient dû passer des combinaisons thermiques, car le système de refroidissement de la base fonctionnait à présent beaucoup trop bien, au point que les coursives menaçaient à tout instant de se couvrir de verglas.

Remontant couloirs et passages, Mara sentit un curieux déséquilibre se produire chez Luke. Même si leur union psychique n’était pas assez forte pour lui permettre de lire en permanence ses pensées, elle devina qu’il était à nouveau en train de lutter intérieurement contre les difficultés liées à son double rôle de chef de guerre et de chef de famille. En ces temps troublés où les Jedi avaient le plus besoin de lui, Luke craignait que la guérison de Mara, aussi mystérieuse que le mal qui l’avait atteinte, ne soit qu’une rémission. En ces temps troublés où lui-même avait besoin de se trouver auprès d’elle, d’apprendre à devenir un bon père, il devait se démener pour maintenir l’unité au sein de la faction Jedi et trouver le moyen le plus judicieux de la diriger sans trop de heurts.

Ils tournèrent dans une coursive et remontèrent le passage qui menait au grand sas étanche fermant la baie hangar. Mara prit la main de Luke.

– Skywalker ? Il y a des fois où j’ai sérieusement envie de te coller une claque.

– Ah oui ? dit-il, pas vraiment surpris, en se tournant vers elle.

Mara fit un vague geste de la main en direction du hangar devant eux.

– Tout ce que tu fais pour les Jedi, je te signale que tu le fais aussi pour nous. (Elle appuya sa paume contre la commande de l’écoutille et l’iris du sas s’ouvrit en sifflant.) La Force est puissante chez Ben. Je sais que tu l’as remarqué, toi aussi.

– Exact, répondit Luke en hochant la tête.

– Alors les Jedi doivent gagner cette guerre, dit Mara. Si nous perdons, où Ben pourra-t-il trouver refuge, hein ?

Luke s’arrêta et Mara sentit le déséquilibre qui le perturbait fondre comme neige au soleil. Il lui fit signe de passer l’écoutille.

– Je n’avais pas vu les choses sous cet angle…

– Bien sûr que non. Tu es trop altruiste. (Elle pénétra dans le hangar.) Mais moi, non. Est-ce que tu vas enfin te décider à ramener Kyp et Saba dans le droit chemin ou bien faut-il que je le fasse ?

Elle sentit Luke sourire derrière son dos.

– Il vaut mieux que je m’en charge. Ce ne serait pas très correct de les laisser ainsi à ta merci !

– Correct ? répéta Mara. Qu’est-ce qui peut bien te faire penser que je m’inquiète de ce qui est correct ou non ?

Ils sortirent du sas et empruntèrent un passage dégagé qui conduisait au groupe de pilotes. Danni Quee venait de les rejoindre, certainement convoquée dès que Saba avait appris que Luke arrivait. Convaincue que les membres du commando ne résisteraient pas aux tentatives des Yuuzhan Vong pour briser leur volonté, la Barabel n’avait cessé, depuis le retour des Chevaliers Errants d’Arkania, d’implorer le Maître Jedi pour qu’il lance une mission de sauvetage. Luke se devait d’agir, craignant que Saba ne prenne l’initiative d’organiser la mission en question et d’emmener avec elles les membres de son escadron, mais il voulait aussi obtenir la confirmation des renseignements fournis par Danni.

Corran s’écarta, cédant sa place à Luke face à l’assemblée.

Skywalker prit un ton légèrement irrité pour s’adresser directement à Corran :

– Eh bien, Corran, qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi n’êtes-vous pas en train d’analyser les données des exercices de ce matin ?

Les yeux de Corran trahirent une certaine surprise face au ton sévère de Luke, mais l’homme se ressaisit.

– Maître Skywalker, nous avons interrompu nos exercices plus tôt que prévu, lorsque la Dame Chance est entrée dans le système. Elle devrait arriver prochainement ici.

Luke entendit Han et Leia qui approchaient. D’un rapide coup d’œil, il envoya Mara les intercepter. La détermination qu’il perçut chez elle lui confirma qu’elle allait faire exactement ce qu’il attendait d’elle. Il continua de dévisager Corran.

– Je ne comprends pas. (Sa voix était toujours posée, mais ferme.) Si Lando a des ennuis, qu’est-ce que vous faites encore ici ?

Saba Sebatyne fit un pas en avant.

– Ce n’est pas de la faute du Jedi Horn, Maître Skywalker. Cette Barabel a interrompu l’exercice.

Luke souleva un sourcil et attendit.

– Cette Barabel veut savoir comment ça s’est passé.

– Comment quoi s’est passé ? demanda Kyp, complètement ignorant du rôle que Lando avait joué dans la prétendue capture d’Anakin et de son équipe. Vous auriez intérêt à me dire ce qui se passe, sinon je rassemble les Apôtres et je m’en vais.

Luke s’avança vers Kyp.

– Comment veux-tu qu’on t’explique quoi que ce soit alors que tu ne tiens pas en place, hein ?

Kyp fronça les sourcils, puis jeta un coup d’œil à ses pilotes par-dessus son épaule.

– Qu’est-ce que tu veux dire ? Qu’on ne peut pas nous faire confiance ?

– Ce n’est pas une question de confiance, répondit Luke.

Il laissa sa phrase en suspens et continua à observer Kyp pendant que Mara, Han et Leia les rejoignaient. Personne ne parla et les deux époux Solo braquèrent également les yeux sur Durron. Finalement, Kyp évita le regard de Luke et se tourna vers Saba.

– Saba a l’air au courant de toute cette histoire, se plaignit-il. Et pourtant, elle aussi a l’air de ne pas tenir en place.

– Saba a le droit de savoir. Son fils est aux côtés d’Anakin, dit Luke. Tout comme ses apprenties.

Kyp réfléchit quelques instants avant de s’adresser à la Barabel :

– On n’est pas obligés de l’écouter, tu sais. On peut partir nous-mêmes à leur recherche.

– Non, mon vieux, tu ne peux pas, dit Han en secouant la tête. (Solo tendit un doigt en direction des portes blindées.) C’est sûr, tu peux t’en aller avec tes Apôtres, si ça te chante. Mais tu ne peux pas partir à la recherche d’Anakin et des jumeaux. Pas si l’amitié a un peu de sens pour toi, en tout cas.

Kyp afficha un regard perplexe et choqué.

– Mais ce sont tes enfants, Han. Tu devrais déjà être parti à leur recherche !

– Je veux qu’ils reviennent vivants, dit Han. Et ça ne risque pas de se produire si tu décides de les pister.

– Ça dépendra de ce que Lando Calrissian aura à nous raconter, intervint Saba. Pour peu qu’il ait appris, par l’intermédiaire de son villip, que la tentative de briser leur volonté a fonctionné…

– Il n’y aura pas de mission de sauvetage, déclara Luke. (Il vit Han se raidir et sentit le désarroi de Leia dans les ondes de la Force. Mara les avait cependant bien préparés et aucun d’entre eux ne montra le moindre signe d’inquiétude.) Le commando doit réussir ou échouer tout seul. Pour peu que nous sachions où aller les chercher, nous serons trop occupés ici même à d’autres tâches.

– Un commando ? (Kyp se tourna vers Han dans l’espoir d’obtenir des éclaircissements.) Quelles autres tâches ?

– Désolé, Kyp, faut demander à Luke. (Joueur invétéré, Han savait comment passer la main.) Il y a trop de choses en jeu pour que je puisse prendre la parole sans y avoir été invité.

Kyp se tourna à nouveau vers Luke.

– Est-ce que tu as découvert la raison de cette attaque feinte sur Arkania ? Est-ce que nous allons pouvoir enfin tenir tête aux Yuuzhan Vong ?

Luke dut lutter pour conserver un visage impavide.

– Je ne sais pas si « nous » allons faire quoi que ce soit. (A ces mots, la Dame Chance apparut aux portes de la baie. Des techniciens firent manœuvrer le dernier vaisseau qui se trouvait dans le passage, le Gentleman Croupier appartenant à Tendra Risant Calrissian.) Si tu veux participer, tu dois me faire une promesse.

Kyp poussa un soupir exaspéré.

– Quel genre de promesse ?

– Un vœu d’allégeance. De quelle autre promesse pourrait-il s’agir ? demanda Han, presque sur le ton de la colère. Tu dois jurer d’obéir à Luke et de faire exactement ce qu’il te dira de faire. Si tu ne te sens pas prêt, tu peux t’en aller tout de suite. (Il marqua une pause, histoire de se calmer.) Il serait peut-être temps pour toi de commencer à te comporter en Chevalier Jedi.

Sous le coup de la réprimande, les yeux de Kyp étincelèrent. Luke songea un instant que Han était peut-être allé un peu loin, mais apparemment, comme à son habitude, Solo avait su correctement se servir des cartes qu’il avait en main. Le regard de Kyp s’adoucit sensiblement, à croire que la remarque de Han l’avait calmé.

Durron se tourna vers ses pilotes.

– Vous en pensez quoi, vous autres ? On se joint aux Jedi et on joue le jeu de la marine spatiale ?

– Tu sais bien ce qu’on en pense, bourdonna un pilote insectoïde Verpine. (A sa grande honte, Luke se rendit compte qu’il ne connaissait pas son nom.) Tant qu’on va casser du Yuuzhan Vong…

Kyp regarda les autres membres de son escadron. Lorsqu’ils eurent fini d’exprimer des sentiments analogues, il se tourna vers Han et hocha la tête.

– C’est bon, on promet.

– Pas à moi, vieux, dit Han en faisant un geste en direction de Luke. C’est lui le patron, ici.

Le visage de Kyp s’empourpra sous l’effet de la colère. Mais il ravala sa fierté et s’adressa à Luke :

– Vous avez notre promesse, Maître Skywalker. Nous resterons tant que vous aurez besoin de nous.

– Et vous obéirez aux ordres ? intervint Corran Horn.

– Si vraiment il le faut, dit Kyp en faisant la grimace.

– Il le faut, dit Luke. (Il vit la Dame Chance se diriger lentement vers son bras d’accostage et se tourna vers Saba Sebatyne.) Et les Chevaliers Errants ?

– Bien sûr, si les Jedi ont réellement l’intention de livrer bataille à l’envahisseur, dit Saba. Vous avez donc deviné quelles motivations le Maître de Guerre cache derrière la feinte d’Arkania ?

– Nous y travaillons toujours, dit Luke. Mais nous allons effectivement aller livrer bataille aux Yuuzhan Vong. Je n’aurais jamais osé risquer la vie de votre fils et de vos apprenties si ce n’était pas le cas.